Témoignage de confinement : Cécile*

Le confinement a aggravé les inégalités entre les femmes et les hommes, sur le plan personnel et professionnel.  Au confinement s’est ajouté le télétravail qui, comme le révèle l’enquête de l’INED publié en juillet 2020, a eu des impacts différents suivant le sexe des travailleu.ses et leur catégorie sociale. Cette réalité est d’autant plus vraie pour les femmes en confinement dans un foyer hétérosexuel avec des enfants (en bas âge ou non). Afin de visibiliser ces inégalités, exacerbées pendant cette période, nous avons recueilli les témoignages de femmes, de catégorie A, B et C travaillant comme personnels BIATSS ou enseignantes-chercheuses à l’Université Lyon 1. Vous pourrez les découvrir, quotidiennement sur le blog, du 15 au 23 juillet.

*cette agente a souhaité rester anonyme, Cécile est donc un nom d’emprunt

Pouvez-vous vous présenter ?

Je suis une femme de 41 ans avec une famille recomposée : un compagnon, un bel-enfant de 10 ans, qui est en garde partagée, et notre enfant de 2 ans. J’ai passé le confinement avec eux, alternativement à 3 ou 4 dans notre appartement, en milieu urbain.

J’ai un poste d’assistante ingénieur titulaire, sans encadrement d’équipe. C’est un métier technique où on a la particularité d’être beaucoup en contact avec le public. Pour nous, le confinement a généré vraiment un surcroit de travail. On s’est retrouvé projetés dans le télétravail avec un public également en télétravail. Il a fallu s’ajuster mais ce n’était pas la panique totale.

Comment avez-vous vécu l’annonce du confinement ? Les premières semaines ?

L’annonce en elle-même, ce n’était pas une surprise, mais ça a créé un sentiment d’irréalité. Pendant quelques jours on ne touche pas terre, on a l’impression d’être dans un film. Cela a généré beaucoup de fatigue psychologique : il faut à la fois réajuster sa vie personnelle et professionnelle. On a moins de transports et moins d’activités mais paradoxalement on se retrouve plus fatigué.

Avec un enfant de 2 ans à la maison, le quotidien est déjà en perpétuel réajustement. Avec le temps on arrive tout de même à trouver un semblant d’organisation. Alors lorsque le confinement est arrivé, il a détruit tout ce qu’on avait laborieusement mis en place. Cela a été très dur de retrouver un équilibre au quotidien.

Connaissez-vous le terme de charge mentale ? Dans quelle mesure avez-vous ressenti son poids pendant cette période ?

Pour moi, la charge mentale c’est d’être la cheffe d’orchestre du foyer. Il faut penser à toutes les choses à faire, les anticiper, les planifier et ensuite les organiser. Et si on a la chance d’avoir un entourage un peu accompagnant il faut aussi organiser la délégation des tâches. J’en ai vraiment pris conscience lorsqu’on est devenu un foyer avec plusieurs enfants, mais avec le confinement encore plus.

D’un seul coup on se retrouve dans son foyer, en famille, entre 4 murs, 24h/24. Normalement on est au travail au moins 8 heures/jours, avec une cantine le midi, une institutrice qui s’occupe du travail des enfants, une nounou ou une crèche qui s’occupe de garder les plus petits, et si on a vraiment de la chance même quelqu’un qui vient faire le ménage à la maison. Et là, plus rien, il n’y a pas d’échappatoire.

La charge mentale, il y a beaucoup d’hommes qui ne la comprennent pas ou ne la reconnaissent pas. Ils font la vaisselle et/ou ils tondent le gazon, et ils ont l’impression que les charges du foyer sont ainsi équitablement partagées. Je crois qu’il faut se représenter l’ensemble des tâches d’un foyer comme un iceberg, avec une partie émergée, et l’autre partie, la plus grosse, immergée. Si on prend l’exemple d’une tâche simple, comme habiller ses enfants le matin : pour leur mettre des chaussettes propres, il faut avoir fait à un moment donné un inventaire des placards pour savoir si les chaussettes sont encore à la bonne taille, que les trop petites ou trop abîmées aient été évacuées et remplacées, et que les nouvelles chaussettes aient été lavées, étendues, puis ramassées et rangées par deux dans le placard. Ça, c’est la partie immergée de l’iceberg, le travail invisible. Si je demande à mon compagnon je ne suis pas sûre qu’il connaisse la pointure de ses enfants et c’est probablement le cas dans beaucoup de foyers.

C’est tout ça le travail invisible, le travail non reconnu des femmes, celui qui crée la charge mentale. Je suis une grande fan des bandes dessinée d’Emma, elle a très bien illustré le sujet. C’est le bouquin qu’il faut laisser trainer dans des lieux stratégiques histoire que Monsieur tombe dessus par hasard. C’est après avoir lu ces BD que j’ai pris conscience de ma réalité.

Beaucoup de médias prônaient un retour à une forme d’intériorité et de lenteur, avez-vous pu prendre ce temps pour vous ? (Lire, sport, prendre soin de soi)

Je pense que le besoin, on le ressent toujours. Après je ne sais pas qu’elle est la réalité des un.es et des autres mais dans la mienne c’était même pas la peine d’y penser !

Pendant le confinement ma réalité se résumait à trois choses : télétravailler quand je pouvais, et dans de mauvaises conditions, m’occuper (ou déléguer) de tout ce qui concernait la maison au sens large (courses, ménage…) et m’occuper des enfants.

Il se trouve que c’est mon conjoint qui était en autorisation d’absence, mais quand on a des enfants qui ne sont pas autonomes, il y a des moments où une seule personne ne peut pas les gérer toute seule. Par exemple, quand il faut une personne pour faire travailler le grand pendant le temps d’école virtuelle, nécessairement, il en faut une autre pour s’occuper du petit pendant ce temps.

On a l’impression qu’être à la maison libère du temps, alors qu’en fait non. C’est vrai qu’on a moins de transports mais par contre les trois autres activités prennent tout l’espace.

Avez-vous ressenti une forme de culpabilité concernant votre gestion de cette crise ?

Je n’ai pas ressenti de culpabilité mais une immense colère. C’est déjà la galère dans la vie de tous les jours alors pourquoi le confinement vient perturber tout ce qu’on avait laborieusement mis en place ? De la frustration aussi, parce qu’on ne sait pas à qui s’en prendre. On aurait pu anticiper, s’organiser différemment, on aurait pu avoir une autre stratégie que le confinement. Il y avait aussi un peu d’angoisse de tomber malade, ou de voir un de ses proches tomber malade.

Et cela perd de son sens avec la manière dont le déconfinement se fait aujourd’hui : les gestes barrières sont de moins en moins respectés. S’il y a une deuxième vague cet automne, je me dis qu’en plus, on aura subi tout ça pour rien !

Comment avez-vous géré l’après confinement ? Quelles ont été vos stratégies pour initier le changement ?

Je ne peux pas répondre à cette question. J’ai absolument voulu retourner au travail parce que c’était horrible pour moi d’être entre 4 murs. Cela m’a fait beaucoup de bien. On est toujours dans le réajustement et on n’a pas repris de repères. Pour l’instant on essaie de se ré-encrer dans la réalité et peut être qu’ensuite on mettra en place des stratégies.

En conclusion, je dirais que pour nous, les femmes, il faut apprendre à déléguer et à partager cette charge mentale. On ne sait pas faire. Moi la première, j’ai conscience du problème, mais faire les choses moi-même est souvent plus simple et moins consommateur en temps et en énergie plutôt que de déléguer à Monsieur, mais devoir tout expliquer, tout préciser… etc.