Témoignage de confinement : Fadila Chebaani

Le confinement a aggravé les inégalités entre les femmes et les hommes, sur le plan personnel et professionnel.  Au confinement s’est ajouté le télétravail qui, comme le révèle l’enquête de l’INED publié en juillet 2020, a eu des impacts différents suivant le sexe des travailleu.ses et leur catégorie sociale. Cette réalité est d’autant plus vraie pour les femmes en confinement dans un foyer hétérosexuel avec des enfants (en bas âge ou non). Afin de visibiliser ces inégalités, exacerbées pendant cette période, nous avons recueilli les témoignages de femmes, de catégorie A, B et C travaillant comme personnels BIATSS ou enseignantes-chercheuses à l’Université Lyon 1. Vous pourrez les découvrir, quotidiennement sur le blog, du 15 au 23 juillet.

Pouvez-vous vous présenter ?

Je suis Fadila Chebaani magasinière à la BU santé , divorcée et maman de 3 garçons de 15, 12 et 10 ans. J’ai été confinée avec eux, l’ainé, qui est porteur d’un handicap, vit normalement chez son père mais suite à une grosse décompensation en début de confinement j’ai préféré qu’il reste avec moi un jour sur deux pour prendre soin de lui et alterner des temps plus calmes et des temps avec ses frères.

Comment avez-vous vécu l’annonce du confinement ? Les premières semaines ?

Dès le vendredi nous avons sur que les écoles seraient fermées, probablement jusqu’aux vacances de Pâques, mais je ne savais pas encore si je devrais continuer à aller au travail. J’ai beaucoup stressé.

Ensuite nous avons appris que les BU seraient fermées au public mais nous ne savions pas encore si nous devions nous rendre sur place. Le lundi nous avons finalement reçu la consigne du confinement total. Toute cette période a été assez violente et a demandé de s’adapter à l’urgence.

Dès le lundi on nous a parlé de continuité pédagogique, pour les enfants mais je n’avais pas suffisamment d’équipement à la maison. Comme nous ne pouvions plus sortir j’ai passé cette première journée à faire des courses pour ma famille et ma mère.

Entre le lundi et le mercredi je me suis organisée pour récupérer du matériel pour mettre en place l’école à la maison, mon voisin m’a prêté une imprimante mais je n’avais pas de cartouches ! J’ai pu installer deux ordinateurs dans mon salon, dont un sur une table basse ce qui n’était pas des plus confortables.

Quand j’ai compris que ça allait durer longtemps j’ai élaboré un planning avec les enfants pour que tout le monde ait un cadre. J’ai prévu les heures de lever, les temps de travail scolaire, les repas, les temps de détente.

Connaissez-vous le terme de charge mentale ? Dans quelle mesure avez-vous ressenti son poids pendant cette période ?

Oui je connais ce terme. Je crois que pour moi cela se résume au fait que j’ai pensé tout le temps aux autres et pas à moi.

A la maison j’étais tout le temps sollicitée, aucun temps de pause. Car je devais motiver tout le monde pour du sport, pour jouer ensemble, pour la préparation des repas, pour les rendus de devoirs.

Au travail je n’ai pas ressenti de pression jusqu’à l’organisation d’une visioconférence, à laquelle j’ai eu beaucoup de mal à me connecter. J’ai appris que je devrais suivre une formation en ligne pendant 2 jours et j’ai craqué. Comment allais-je faire avec mes enfants et un équipement peu adapté ? Je n’ai subi aucune pression, j’ai pu expliquer ma situation à ma hiérarchie mais je me suis sentie seule avec l’impression que le monde continuait de fonctionner mais pas moi.

Mon fils étant porteur d’un handicap et particulièrement fragilisé par cette période, j’ai également du gérer cet aspect-là, en lien avec son éducateur.

J’ai aussi été inquiète pour ma mère qui est asthmatique et donc personne à risque.

Les questions financières ont également été source d’inquiétude car j’ai dû acheter des provisions pour les 3 repas principaux et les goûters. Tout a couté très cher et j’ai craint de ne pas pouvoir assumer les surcoûts engendrés par la situation.

Le poids de la charge mentale que j’ai ressentie a donc été énorme

Avez-vous ressenti une forme de culpabilité concernant votre gestion de cette crise ?

Oui à plusieurs niveaux. D’abord j’ai eu le sentiment qu’il fallait tout le temps qu’on soit ensemble avec mes enfants car je pensais qu’ils allaient souffrir et qu’il fallait m’occuper d’eux au maximum, avec le recul j’ai l’impression de les avoir surprotégés.

J’ai du en permanence faire des choix entre ma mère, mes enfants, mon travail et ça m’a beaucoup rongée. J’aurais aimé prendre ma mère avec moi mais elle était à risque avec mes enfants.

J’ai développé une forme de rancœur qui m’a aussi culpabilisée : je pensais ne pas devoir ressentir ce type d’émotions.

Pour le travail j’ai culpabilisé de ne pas être disponible et aussi d’être payée sans travailler suffisamment pour l’Université.

Comment avez-vous géré l’après confinement ? Quelles ont été vos stratégies pour initier le changement ?

J’ai pris seule la décision de ne pas remettre mes enfants tout de suite à l’école, après discussion avec eux tout de même. Début juin tout le monde a repris. Pour ma part dès le déconfinement j’ai repris en présentiel 2 jours par semaine (les jours où mes enfants étaient en classe). Ils sont très heureux d’avoir retrouvé l’école mais je trouve qu’il est plus difficile de les motiver à sortir, à passer du temps dehors.

Beaucoup de travail m’attendait à mon retour et j’ai à nouveau ressenti une pression, toujours pas par ma hiérarchie qui a été d’un grand soutien, mais plutôt une pression que je m’impose. Je me sens assez à fleur de peau car j’ai l’impression de m’être contenue pendant 3 mois.

Je commence à préparer les vacances, l’organisation des centres de loisirs a été un casse-tête mais c’est réglé pour les trois. J’espère pouvoir partir un peu si mes finances me le permettent.

Je me suis rendue compte que ma situation en tant que femme n’était pas normale. Je suis formatée, et la société aussi, à prendre soin de tout le monde, à m’occuper de tout, à gérer seule. Je voudrais éduquer mes garçons autrement pour qu’ils ne me voient pas comme une femme de ménage ou seulement une mère.

Je pense que la société aussi doit prendre sa part : quand par exemple mon enfant en situation de handicap a des réactions violentes avec moi je ressens moins d’inquiétudes de la part des services qui le suivent que lorsque cela arrive à son père et que cela prend des proportions beaucoup plus importantes car il « représente l’autorité » selon leurs propres termes.

Le non-respect des gardes partagées est un gros problème, quand un parent s’engage à s’occuper de ses enfants sur un temps donné, il devrait être obligé de le faire. Pour beaucoup de pères c’est à la carte et comme ça les arrange et c’est aux mères de se débrouiller en fonction de leurs impératifs. Ce n’est pas normal. Il y a trop d’inégalités dans ce domaine et les enfants ne sont pas suffisamment protégés.

J’aimerais aussi qu’il y ait davantage de solidarité entre les femmes et qu’elles ne reproduisent pas les schémas qui nous rendent responsables systématiquement de l’organisation familiale.