La sélection de la BU Sciences : L’Homme préhistorique est aussi une Femme

Billet rédigé par Valérie Roure Responsable des collections sciences de la vie et de la terre (étudiants) à la Bu sciences

C’est en s’appuyant sur les dernières découvertes en préhistoire et sur l’analyse des idées reçues via la littérature savante que  la préhistorienne Marylène Patou-Mathis remet en question les interprétations qu’on a faites de la préhistoire. Elle pose les bases d’une autre histoire des femmes, débarrassée des préjugés sexistes, plus proche de la réalité afin de construire à l’évolution des mentalités et inscrire un futur plus juste et équitable.

« Non, les femmes préhistoriques ne consacraient pas tout leur temps à balayer la grotte et à garder les enfants en attendant que les hommes reviennent de la chasse. Les imaginer réduites à un rôle domestique et à un statut de mères relève du préjugé »

C’est ce qu’écrit Marylène Patou-Mathis, dans L’Homme préhistorique est aussi une Femme Ed. Allary). Elle emprunte d’ailleurs son titre au début de l’ouvrage de Sigmund Freud « le vie sexuelle » publié en 1912.

Retrouvez l’ouvrage sous la cote 560 PAT au 2 ème étage de la Bu Sciences.

Les premiers préhistoriens étaient des hommes

Pour comprendre les raisons pour lesquelles la femme de l’ère préhistorique a suscité si peu d’intérêt parmi les préhistoriens, il est nécessaire de rétablir le contexte dans lequel apparait la discipline de la préhistoire. En 1866 se tient le premier congrès d’anthropologie et d’archéologie préhistoriques à Neuchâtel en Suisse, l’anthropologie physique est alors en plein essor elle consiste à mesurer les humains à les catégoriser et à les hiérarchiser en fonction de leurs caractéristiques physiques en les comparant aux grands singes. Cette approche donnera lieu à la notion de races supérieures avec en haut de l’échelle le blanc occidental et en bas dans les classes inférieures les peuples noirs, les aborigènes d’Australie Ainsi les femmes quant à elles se retrouvent toujours dans la partie inférieure de chaque catégorie Le poids de l’Eglise reste par ailleurs majeur.

Les préhistoriens du XIX ,qui vont tenter de penser le mode de vie des humains préhistoriques vont calquer leur structure sociale et leurs préjugés sur ces sociétés qui seront perçues comme patriarcales avec la prédominance de l’homme à qui l’on attribue toutes les découvertes et les innovations. L’image de la femme préhistorique reste vouée aux préjugés et aux stéréotypes voire à des jugements très sévères.

En 1885, le docteur Henri Thulié, fait paraître un essai de sociologie physiologique : « La femme : ce qu’elle a été, ce qu’elle est, les théories, ce qu’elle doit être ». Il consacre une partie de son ouvrage à la Préhistoire : « C’est donc à l’aide des analogies entre les armes, les outils, la manière de s’alimenter, les sépultures, les ossements, etc., des hommes primitifs et ceux des sauvages actuels que l’on peut reconstituer les mœurs de l’homme préhistorique et déterminer le rang qu’occupait la femme dans les sociétés des premiers âges Selon l’auteur, « C’est à travers l’homme que l’on connaît la femme ». Il en conclut que l’homme fossile donc n’avait pas de femme, mais des esclaves femelles, qui, en même temps qu’elles faisaient au hasard des hommes pour la tribu, servaient le mâle dans ses plus durs travaux, et étaient chargées du labeur le plus pénible.

Henri Thulié est l’un des rares, au XIXe siècle, à réfléchir à la place des femmes dans les sociétés préhistoriques Il a un jugement très sévère qui conclut que la femme préhistorique n’était qu’une bête de somme.

Remise en cause des interprétations des préhistoriens : les femmes étaient probablement des chasseuses guerrières et artistes

Dans son ouvrage Marylène Patou Mathis développe l’argument selon lequel la place des femmes dans les sociétés paléolithiques n’était pas si marginale. Des fouilles ont révélé qu’elles disposaient d’une morphologie robuste et musclée, ce qui tend à démontrer, au- delà des poncifs et des lieux communs qu’elles participaient aux activités de chasse il y a 9000 ans Aucun argument ne confirme l’hypothèse selon laquelle les femmes auraient eu un statut inférieur aux hommes. Les représentations des femmes, et en particulier de leur sexe retrouvées dans les grottes fait écho de la considération dont elles faisaient l’objet. Aujourd’hui grâce à l’ADN on peut savoir s’il s’agissait d’un squelette d’homme ou de femme.

En matière d’art pariétal il a été démontré que la majorité des mains réalisées en pochoir peintes il y a environ 25 000 ans, a été réalisé par des femmes dans les grottes françaises comme à Pech Merle dans le Lot, mais aussi en Espagne en Australie et à Bornéo.

L’apparition de l’archéologie du genre

Aux Etats-Unis les anthropologues américaines remettent en cause dans les années 70 les interprétations afin de dépasser le déterminisme biologique.

Son objectif est d’ouvrir la discipline à la compréhension des pratiques sociales et culturelles dans les sociétés sans préjuger de sexe d’orientation sexuelle, ou de genre.

L’archéologie, comme toutes les sciences humaines, a été influencée par les mouvements sociaux.

Margaret Conket,Janet Spector, Joan  Gero sont des pionnières de l’archéologie du genre tout  comme la norvégienne Liv Helga Dommasnes.

A propos de l’auteure

Née en 1955, Marylène Patou-Mathis Préhistorienne spécialiste des comportements des Néandertaliens, directrice de recherche au CNRS et rattachée au Département du Muséum national d’histoire naturelle. Dans son récit elle nous donne des clés de lecture afin de renouveler par le prisme de la préhistoire nos rapport aux genres et aux individus.

Ses travaux ont permis de modifier positivement l’image de « brute épaisse » que Néandertal suscite auprès du grand public : ce peuple de chasseurs-cueilleurs, par les traces fossiles, montre un visage plus humain.

Par ailleurs les recherches de Marylène Patou –Mathis l’ont amené à étudier l’une des dernières sociétés actuelles de chasseurs-cueilleurs les San ou Boushman dans le désert du Kalahari au Botswana.

Repères préhistoriques

Paléolithique inférieur : 

entre 760 000 et 350 000 ans avant notre ère

Paléolithique moyen :

entre environ 350 000 et 35 000 avant notre ère

Paléolithique supérieur :

entre environ 43 000 et 10 000 ans avant notre ère

Néolithique :

entre environ 6400 et 2500 ans avant notre ère

Pour aller plus loin