Témoignage de confinement : Laurence Le Diouris

Le confinement a aggravé les inégalités entre les femmes et les hommes, sur le plan personnel et professionnel.  Au confinement s’est ajouté le télétravail qui, comme le révèle l’enquête de l’INED publié en juillet 2020, a eu des impacts différents suivant le sexe des travailleu.ses et leur catégorie sociale. Cette réalité est d’autant plus vraie pour les femmes en confinement dans un foyer hétérosexuel avec des enfants (en bas âge ou non). Afin de visibiliser ces inégalités, exacerbées pendant cette période, nous avons recueilli les témoignages de femmes, de catégorie A, B et C travaillant comme personnels BIATSS ou enseignantes-chercheuses à l’Université Lyon 1. Vous pourrez les découvrir, quotidiennement sur le blog, du 15 au 23 juillet.

  • Présentation

Je suis ingénieure pédagogique à l’IUT, à 80%. A la maison j’ai 3 enfants de 13 ans, 12 ans, et 9 ans. Mon mari et moi nous étions en télétravail, tout comme les enfants pour leur continuité pédagogique.

  • Comment avez-vous vécu l’annonce du confinement ? Les premières semaines ?

Je me suis directement demandée comment est-ce qu’on allait s’organiser. Je fais partie d’un service de pédagogie, donc j’ai très vite été sollicitée par mes collègues pour accompagner la continuité pédagogique à l’IUT. Mon mari aussi s’est rapidement installé en télétravail et nous avons pu tenir le siège. Il a rapporté de son bureau du matériel informatique et n’ayant pas de bureau dédié, on s’est bricolé des espaces de travail à la maison.

  • Connaissez-vous le terme de charge mentale ? Dans quelle mesure avez-vous ressenti son poids pendant cette période ?

La charge mentale … je connaissais avant mais alors là ça ce n’est pas du tout amélioré ! Je me suis dit que comme on était deux adultes à la maison on allait pouvoir s’occuper d’un.e enfant et demi.e chacun.e. En temps normal c’est moi la référente puisque mon mari travaille tard le soir et a des horaires (très) extensibles. J’avais espoir qu’avec le confinement ça se rééquilibre, mais non. Pendant que je travaillais, les enfants venaient s’installer à côté de moi et lorsque j’arrivais à saturation (quand les 3 me sollicitaient en même temps) je disais à l’un.e des 3 d’aller voir son père, et à ce moment lui le prenait en charge. Les enfants n’allaient pas vers lui spontanément et lui ne s’en occupait pas non plus d’emblée.

A cela s’ajoutait mon travail pour l’IUT et toute la charge « habituelle » de la maison, toutes. C’était vraiment compliqué. Parfois quand j’étais en réunion le midi et qu’elle s’éternisait, même si mon mari n’avait pas de réunion, il ne préparait pas le repas. C’est à mon fils, le grand, que je soufflais d’aller préparer des pâtes. Ce n’était pas vraiment équilibré (ni le repas, ni la répartition des tâches J).

J’aurais pu lui faire remarquer et m’énerver, mais il était souvent au téléphone, souvent en réunion, je ne voulais pas le déranger. Quand je me plains du non partage des tâches dans notre foyer, mon entourage me rétorque toujours que moi je ne suis « que » à 80%, je travaille dans le public et lui dans le privé, il ramène plus d’argent à la maison, donc comme lui ramène des sous, moi je ramène mon temps. Sauf que, mon temps c’est aussi de l’argent ! Si ce n’était pas moi qui le faisait il faudrait payer quelqu’un pour le faire (le ménage, la garde des enfants …).

C’est très compliqué, d’autant plus quand tu es féministe et que tu as conscience de cela. Je me sens mal de ne pas l’avoir fait réagir… Comment est-ce que je peux être féministe et accepter ça dans mon propre foyer ?  

  • Beaucoup de médias prônaient un retour à une forme d’intériorité et de lenteur, avez-vous pu prendre ce temps pour vous ? (lire, sport, prendre soin de soi)

J’ai quand même pu prendre du temps pour moi, je sortais tous les deux jours faire 1h de marche rapide, cela me permettait de sortir et d’évacuer.

Par contre, j’ai eu beaucoup de mal à lire, je n’arrivais pas à me concentrer. Pas de lenteur non plus, rien n’était lent, tout était sous tension. J’ai eu très mal au dos, à cause du stress.

  • Avez-vous ressenti une forme de culpabilité concernant votre gestion de cette crise ?

Un peu de culpabilité par rapport au travail, car comme j’avais les enfants à gérer je n’avais pas autant de temps à fournir à l’université. En temps normal, mon 80% est sur 4 jours, là j’ai dû l’étaler sur 5 jours. J’ai voulu le faire reconnaitre par l’université, une reconnaissance symbolique. D’autant que lorsque les enfants ont repris l’école, j’ai continué à travailler le mercredi et mon volume de travail a augmenté. J’avais un fort sentiment de culpabilité parce que j’avais l’impression de mal faire mon boulot, alors que je faisais de mon mieux.

Comme je le disais plus tôt, j’ai aussi une forte culpabilité féministe du fait d’avoir tout pris en charge à la maison… Il faut que je sois cohérente avec moi-même.

  • Comment avez-vous géré l’après confinement ? Quelles ont été vos stratégies pour initier le changement ?

Je me suis bien rendue compte de ce qui n’allait pas dans le monde d’avant, donc je voulais imaginer un autre monde d’après. En réalité, aujourd’hui, mon monde d’après il est comme mon monde d’avant … 

Pour alléger ma charge mentale, je vais faire un tableau de répartition des tâches familiales. J’avais déjà, il y a quelques années, essayé de lâcher prise, en ne faisant pas ce que je faisais habituellement. Par exemple, pour le linge sale, c’est uniquement quand il avait commencé à déborder et que mon mari n’avait plus d’affaires propres, qu’il avait commencé à s’en inquiéter.

Donc je me demande vraiment quelles stratégies je vais mettre en place pour rééquilibrer les choses, parce que c’est vraiment usant. Avec le confinement je me suis rendue compte que j’accumulais trop de choses, je ne peux pas non plus continuer à m’énerver intérieurement et « silencieusement », à me dire qu’il faut que les choses changent sans mettre en place une stratégie du changement.

Ce que je vais faire, c’est que je vais lui envoyer ce questionnaire et on va comparer nos réponses !