Témoignage de confinement : Jeanne*

Le confinement a aggravé les inégalités entre les femmes et les hommes, sur le plan personnel et professionnel.  Au confinement s’est ajouté le télétravail qui, comme le révèle l’enquête de l’INED publié en juillet 2020, a eu des impacts différents suivant le sexe des travailleu.ses et leur catégorie sociale. Cette réalité est d’autant plus vraie pour les femmes en confinement dans un foyer hétérosexuel avec des enfants (en bas âge ou non). Afin de visibiliser ces inégalités, exacerbées pendant cette période, nous avons recueilli les témoignages de femmes, de catégorie A, B et C travaillant comme personnels BIATSS ou enseignantes-chercheuses à l’Université Lyon 1. Vous pourrez les découvrir, quotidiennement sur le blog, du 15 au 23 juillet.

*cette agente a souhaité rester anonyme, Jeanne est donc un nom d’emprunt

  • Présentation

Je suis maitresse de conférence à l’Université Lyon 1.

Je suis mariée avec trois enfants qui vont avoir respectivement 7 ans, 11 ans et 13 ans. Nous avons donc passé le confinement tous les 5.

  • Comment avez-vous vécu l’annonce du confinement ? Les premières semaines ?

Ce qui est assez improbable, c’est que j’ai vécu l’annonce du confinement comme un soulagement. Je me sentais complètement débordé au travail. Je me suis dit, super ça va être plus cool … ce qui n’a pas été vraiment le cas. Au départ c’était sympa qu’on soit en famille, en plus mes grands sont assez autonomes. C’était une expérience nouvelle et je suis contente, on ne s’est pas entre-tués !

J’ai surtout eu de la chance car mon mari a eu un arrêt de travail pour garde d’enfants, c’est donc lui qui a géré, la grande majorité du temps. Sinon je n’aurais pas pu continuer de travailler autant. L’enseignement à distance c’était très compliqué. Je travaillais tout le temps ! Au bout de deux semaines le travail s’est empiré, il a fallu faire comme on pouvait, développer des nouveaux outils, à l’aveugle. Ensuite il y a eu les évaluations, c’était l’horreur !

  • Connaissez-vous le terme de charge mentale ? Dans quelle mesure avez-vous ressenti son poids pendant cette période ?

Comme mon mari ne travaillait pas, je me levais le matin pour travailler comme d’habitude. On a également essayé de garder un rythme pour les enfants. Je savais que le matin je devais m’occuper d’imprimer les devoirs pour l’école et les lancer sur des activités, et ensuite mon mari prenait le relais. Je faisais l’interface avec les enseignant.es, la continuité des activités musicales … Il ne fallait pas oublier, rien oublier. Je devais anticiper, garder le rythme. Mais, pour le coup je n’ai pas trop ressenti le poids de la charge mentale pendant le confinement mais surtout au déconfinement, à 100%.

Avec le déconfinement mon mari a repris le travail, 3 jours par semaine, dans un premier temps, puis à temps plein et il a fallu remettre les enfants à l’école. Cependant, mes enfants ne mangeaient pas à la cantine et ils finissaient à 16h30, donc c’est moi qui était à la maison. Le deuxième problème c’est que le rythme changeait toutes les trois semaines, et je suis toute seule à organiser. C’est moi qui me suis occupée de la logistique et de l’organisation, mais avec le changement régulier c’est vraiment compliqué. Il m’était impossible d’anticiper pour me soulager.

  • Beaucoup de médias prônaient un retour à une forme d’intériorité et de lenteur, avez-vous pu prendre ce temps pour vous ? (lire, sport, prendre soin de soi)

Oui, c’est pour ça que le confinement s’est globalement bien passé. On aime beaucoup les vieux films, donc on en a profité pour en regarder, j’ai aussi pu bouquiner. On a pu profiter des enfants. Le week-end, on avait des journées avec rien de prévu et c’est agréable de pouvoir décider au dernier moment de ce qu’on faisait.

Le confinement m’a permis de prendre du recul et de réfléchir à mon travail. Mon mari n’a pas du tout d’affecte dans son travail, ce qui fait qu’il a beaucoup de mal à comprendre pourquoi je travaille autant, alors que j’ai pas vraiment le choix. C’est bien de vivre pour vivre et non pour son boulot. C’était bien de prendre plus le temps.

  • Avez-vous ressenti une forme de culpabilité concernant votre gestion de cette crise ?

Au début je culpabilisais de voir les soignants, personnels des supermarchés, pharmacie, livreurs… s’affairer alors que nous on est juste chez soi, ne participant à rien contre l’épidémie.

J’ai beaucoup culpabilisé quand il a fallu réfléchir à remettre les enfants à l’école. Cette question était insupportable, je n’arrivais pas à admettre que ça leur ferait du bien de voir d’autres gens et à nous de respirer. J’ai trouvé ça très lourd de nous laisser le choix alors que le conseil scientifique préconisait de ne pas remettre les enfants à l’école.

Je culpabilise aussi de trop travailler. Tous les jours mes enfants me le disent. Le fait qu’ils me voient travailler à la maison n’arrange rien. J’ai globalement travaillé plus pendant le confinement.

  • Comment avez-vous géré l’après confinement ? Quelles ont été vos stratégies pour initier le changement ?

J’ai toujours l’impression d’être dans l’urgence, je n’arrive pas à me projeter. Cela me stresse. Je trouve que le déconfinement est plus dur que le confinement lui-même. C’est quoi les bons gestes en fait ? On sait plus ce qu’on doit faire. Comme maintenant c’est la fin de l’année dans toutes les activités il y a des adieux, donc il faut les amener à droite à gauche, il faut faire un gâteau, c’est lourd. Il y’a les vacances à organiser, des solutions de gardes à trouver pour les enfants…

Je pense que je pourrais répondre à cette question au mois de septembre. Ce qui est difficile c’est que j’ai l’impression d’avoir accepté des responsabilités que je ne n’aurais pas dû accepter, comme beaucoup d’autres femmes dans mon département. Cela s’est beaucoup ressenti pendant le confinement parce qu’il fallait tout réorganiser en urgence. Il y a beaucoup de responsabilité dans l’enseignement alors que les primes et les changements de statut sont basés sur les dossiers de recherche. A l’université, la recherche fonctionne seulement quand l’enseignement fonctionne. Malheureusement, dans l’enseignement ce sont souvent les femmes qui prennent les responsabilités, responsabilités qui sont chronophages et mal rémunérées.

Parfois, avant, je rentrais avec le sentiment que tout c’était bien passé, que j’avais réussi à tout faire, tout c’était bien enchainé, et j’étais fière. En fait c’est nul, j’aimerais bien ne pas être fière de ça mais plutôt de ce que j’ai accompli, d’avoir pris le temps d’avoir une discussion intéressante, de bien faire les choses, d’être plus zen.