Le fonds documentaire dont je suis responsable soulève des questions transversales… et pour le moins passionnantes
Ursula Sterling, bibliothécaire en charge de la collection ASPASIE, hébergée à la BU Education Lyon – Croix-Rousse.
Centrée sur les questions de genre en histoire, éducation et sciences sociales, la collection ASPASIE tient son nom d’une femme emblématique de la Grèce antique : savante et intellectuelle d’envergure, elle enseigna notamment la rhétorique à Socrate.
Une collection unique en son genre
Constituée à partir de 2000, Aspasie est un fonds interdisciplinaire, qui rassemble environ 6 000 documents. Les thématiques consacrées à la question du genre sont développées autour de l’histoire de la pensée philosophique et politique, du féminisme, de la construction du droit, du fait religieux et des laïcités, du travail, du corps, des sexualités, ou encore des représentations du masculin et du féminin. Cette collection répond à une mission fondamentale pour l’Éducation nationale : réagir aux stéréotypes sexistes, lutter contre l’homophobie, éduquer à la sexualité et accompagner les enseignements au regard de la question de l’égalité fille-garçon. Il s’agit essentiellement d’un fonds de recherche, qui répond aux besoins des enseignant·e·s de l’ESPE et en particulier de celles et ceux du groupe GEM.
Existe-t-il des collections de cette envergure dans le paysage universitaire français ? Certes, comme les cite le chercheur Vincent Porhel, le fonds du CERTOP-Simone Sagesse (Toulouse Jean Jaurès), le fonds d’archives du CEDREF (Paris 7) ou encore le centre des archives du féminisme à la BU d’Angers ont des similitudes avec ASPASIE. ❝Nous avons aussi le Point G à la bibliothèque municipale de la Part-Dieu, complète Chiara Amadura, étudiante en master Matilda à l’Université Lumière Lyon 2, spécialiste de la question du genre. Dans les fonds documentaires classiques de sciences humaines, il n’est pas toujours facile de trouver des ouvrages [à destination des futur·e·s professeur·e·s] qui prennent en compte le paramètre genre dans leurs analyses. Et s’il y en a, ils ne sont pas répertoriés comme tel ce qui rend la recherche extrêmement chronophage. Avec Aspasie, on sait qu’il y a un endroit à la BU avec 20 étagères dédiés à ces questions❞. C’est l’une des particularités de la collection, fortement appréciée par ses publics : elle ne se cantonne pas aux ouvrages de recherches et aux revues spécialisées. Elle propose des albums pour la jeunesse non stéréotypés, des outils pédagogiques pour enseigner l’égalité en classe, des romans graphiques et même des DVD.
Des liens avec les équipes de recherche et les publics
Dès le départ, les acquisitions ont été réalisées en concertation avec les enseignant·e·s-chercheurs·euses.
❝Gérer ce fonds documentaire est une mission exigeante. J’apprécie d’être entourée et conseillée sur ces thématiques car je n’en étais pas spécialiste au départ. Les collègues me recommandent souvent des titres pour enrichir la collection❞ explique la bibliothécaire. C’est le cas de Fanny Lignon, maîtresse de conférences.
Quand je découvre un film au cinéma et qu’il me semble pertinent pour notre public étudiant, je fais part de mes suggestions à la bibliothécaire, pour qu’elle fasse l’acquisition du DVD à sa sortie. Récemment, par exemple, j’ai proposé d’acquérir le long métrage GIRL, du cinéaste flamand Lukas Dhont. J’ai toujours à l’esprit l’intérêt que cela peut susciter pour les futur·e·s professeur·e·s.
Fanny Lignon (sujets de prédilection : le cinéma, l’audiovisuel et les jeux vidéos… traversés par la question du genre)
Faire connaître la richesse de la collection
Outre un travail sur la signalétique, qui a compris la réalisation d’un logo spécifique pour identifier les ouvrages du fonds Aspasie, Ursula Sterling a aussi créé une rubrique dédiée sur le portail des BU de Lyon 1, afin de rendre visible cette collection. La “publicité” autour d’Aspasie est, comme le mentionne Vincent Porhel, une des actions majeures du groupe de recherche GEM, auquel il appartient. Les membres du GEM avisent régulièrement leurs collègues de l’ESPE de son existence. Enfin, précise ce maître de conférences en histoire contemporaine, ❝Les récentes discussions autour de l’Université-Cible ont permis de mettre en avant cette ressource auprès de l’ensemble des instances de la future université.❞
Les documents issus du fonds ASPASIE touchent un large public : les enseignant·e·s en primaire y trouvent des ressources pour répondre aux enjeux égalitaires dans le système éducatif, les étudiant·e·s MEEF des universités lyonnaises également. N’oublions pas les étudiant·e·s en STAPS qui suivent le Master ÉGAL’APS (Égalité dans et par les Activités Physiques et Sportives) et (6 parcours). La collection se développant en suivant l’évolution des études de genre dans la société, elle intéresse de près les étudiant·e·s inscrit·e·s dans un des parcours de master « étude de genre » proposés par l’Université Lumière Lyon 2.
Ursula Sterling
Chiara Amatruda a justement découvert l’existence du fond Aspasie lors du séminaire d’histoire « Genre et société », organisée par le LAHRA*, avant de saisir l’opportunité de faire un stage à la BU Éducation.
Fanny Lignon, également membre du GEM, signale systématiquement la présence de cette collection aux futur·e·s enseignant·e·s qu’elle forme, notamment dans le cadre de son cours “genre et média”. Elle ne manque pas d’encourager celles et ceux dont elle dirige le mémoire de fin d’études, à aller faire un tour dans les rayons de la collection. ❝Je pioche aussi dedans pour mes lectures personnelles : j’y ai par exemple découvert de très bonnes bandes-dessinées ces temps-ci !❞ En effet, Ursula Sterling et une de ses collègues de la BU Education proposent depuis quelques mois un espace dédié aux romans graphiques, qui fait la belle part aux œuvres consacrées aux femmes et à la question du genre.
Documents venus d’ailleurs et prêts à l’extérieur
Dans le cadre du PEB (Prêt entre bibliothèques), les ressources sont diffusées en dehors des frontières de la BU croix-roussienne : ainsi, en 2018, une vingtaine de prêts ont eu lieu dans ce cadre (la moitié de documents en langue anglaise). La collection ASPASIE compte aussi beaucoup de titres en “VO ».
J’ai beaucoup apprécié le fait que la collection ait des ouvrages de référence comme ceux de Butler ou Wittig. La BU a récemment acquis un ouvrage américain de référence des feminist studies, que je me suis empressée d’emprunter.
Chiara Amadura, mastérante en histoire du genre
Les chercheurs et les chercheuses peuvent feuilleter “dans le texte” le NORA (nordic journal of feminist and gender) ou encore GENESIS (rivista della societa italiana delle storiche). Une partie conséquente des abonnements à ces revues est accessible en ligne.
Échantillon pour découvrir la collection
- L’Origine du Monde de Liv Strömquist (BD)
- Dînette dans le tractopelle de Christos, illustré par Mélanie Grandgirard (album)
- Commando culotte : les dessous du genre et de la pop-culture de Mirion Malle (BD)
- Les filles de banlieue populaire : footballeuses et « garçonnes » de « cité : « mauvais genre » ou « nouveau genre » ? de Audrey Robin
- Kiki de Montparnasse, dessiné par Catel et écrit par José-Louis Bocquet (BD)
- Genre et jeux vidéo, de Fanny Lignon
- Antigone de Yann Liotard (album illustré)
Merci à Chiara Amatruda et Ursula Sterling pour leurs recommandations. Pour vérifier la disponibilité de ces documents, rendez-vous sur le catalogue en ligne !
Ailleurs, des collections du même genre…
Nous avons questionné les chercheurs et chercheuses qui utilisent le fonds Aspasie : Angéline Durand-Vallot, maîtresse de conférences en civilisation américaine à l’ESPE, cite parmi ses équivalents la Feminist Library à Londres, la Sophia Smith Collection of Women’s History, la Schlesinger Library (toutes deux dans le Massaschusetts).
Des projets pour Aspasie
Un des souhaits dans un futur proche serait que la collection Aspasie, à l’instar de la bibliothèque de la FMSH (fondation de la Maison des Sciences de l’Homme), obtienne le label « CollEX », pour collection d’excellence. Récemment, une étudiante de l’Université d’Angers a effectué un stage dans ce sens, en travaillant sur le dossier de candidature : affaire à suivre !