Histoire du corps. Les mutations du regard. Le XXe siècle.
Sous la direction de Jean-Jacques Courtine
En tant que nouveau champ de recherche historique, le corps est toujours aujourd’hui en construction grâce à une historiographie qui se constitue au fur et à mesure des sujets traités. Ce nouvel objet d’histoire est apparu dans les années 1980 avec la seconde génération de l’École des Annales, héritière des historiens Marc Bloch et Lucien Febvre, en lien avec les autres sciences sociales, ce qui en fait un sujet interdisciplinaire de premier ordre.
Mais pourquoi un tel engouement ? Pour y répondre, il faut se pencher sur le corps en tant qu’objet de consommation, dans un monde l’ayant placé au centre des occupations quotidiennes. Comment se laver, se vêtir, marcher, quels gestes et attitudes adopter en société, chaque détail du corps humain est scruté, détaillé, analysé dans un souci d’individualisme mêlé à une norme sociale écrasante répandue à travers de nombreux médias. Ce corps est avant tout genré, avec pour chaque identité un idéal stéréotypé à atteindre. D’un côté l’homme viril, musclé, velu, fort, athlétique, sauvage et de l’autre la femme sensuelle, mince, glabre, lisse, voluptueuse. Même si ces canons de beauté sont aujourd’hui fortement critiqués grâce aux revendications féministes de plus en plus présentes dans l’espace public, ils restent ancrés dans les esprits, intériorisés par la population qui n’hésite pas à exclure les personnes ne voulant ou ne pouvant y correspondre (personnes non-valides, transgenres, jugées trop grosses ou trop minces, racisées, intersexes…).
L’Histoire du corps rédigée par Alain Corbin, Georges Vigarello et Jean-Jacques Courtine entre 2005 et 2006 et publiée aux éditions du Seuil est un ouvrage de référence sur la question. Elle est composée de trois tomes chronologiques : le premier concernant le corps de la Renaissance aux Lumières, le second de la Révolution à la Grande Guerre et le troisième sur le XXe siècle.
Alain Corbin, spécialiste du XIXe siècle en France, est le pionnier de l’histoire des sensibilités et des émotions[1]. Ses travaux ont contribué à l’élaboration d’histoire culturelle avec des ouvrages consacrés par exemple à la prostitution[2] ou à l’hygiène. Avec son travail sur l’histoire des conceptions du corps et de ses pratiques, l’historien français Georges Vigarello est un représentant des recherches sur le sujet. Spécialiste de l’histoire de l’hygiène, de la santé et des représentations du corps[3], sa vision porte sur l’évolution de ce dernier en fonction des changements culturels des sociétés. Jean-Jacques Courtine est quant à lui un anthropologue français et a contribué aux nombreux travaux sur l’analyse du discours et la linguistique. Son approche vis-à-vis du corps apporte une autre vision du corps, centrée sur les différentes utilisations du corps humain selon les cultures[4].
Dans le fonds Aspasie présent au sein de la BU Éducation Croix-Rousse, ce document prend place dans une sous-thématique consacrée à la sociologie du corps qui compte plus d’une centaine de documents. En tant que fonds consacré à l’histoire des femmes et du genre, le fonds Aspasie est un acteur des nouvelles thématiques pluridisciplinaires liées à ces questions au sein de l’Université de Lyon. Le corps comme objet d’étude historique, sociologique, anthropologique, artistique et bien d’autres n’a pas fini d’intéresser les chercheur.euse.s. Avec les nouvelles revendications féministes de réappropriation du corps à tous les niveaux, on peut imaginer que les futurs travaux chercheront à cerner le sujet avec un regard plus juste lié aux témoignages intimes d’individus de tous horizons.
Article rédigé par Manon Proust, BU Éducation Croix-Rousse
[1] Alain Corbin, Jean-Jacques Courtine, Georges Vigarello, Histoire des émotions, Paris : Seuil, 2016-2017.
[2] Alain Corbin, L’harmonie des plaisirs. Les manières de jouir du siècle des Lumières à l’avènement de la sexologie, Paris : Perrin, 2007.
[3] Georges Vigarello, La Robe. Une histoire culturelle – Du Moyen Âge à aujourd’hui, Paris : Seuil, 2017.
[4] Jean-Jacques Courtine et Claudine Haroche, Histoire du visage: exprimer et taire ses émotions, XVIe-début XIXe siècle, Rivages, 1988.