Expo Queer à Lyon Est - Rockefeller du 26/08 au 9/09
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Quentin Houdas est photographe. Il a notamment réalisé des portraits de personnes LGBT et queer dans le cadre de son exposition « QUEER – sexualités alternatives et transidentité » et de son projet « BANNIS – Portraits de réfugiés LGBT ».
Pouvez-vous nous décrire une de vos photos préférées de votre projet QUEER ou de votre projet BANNIS ?
C’est très compliqué d’avoir une préférence sur une image qu’on a produite. J’ai certaines affinités mais qui sont peut-être plus techniques, c’est-à-dire qu’il y en a que je trouve plus ou moins bien réalisées. Cependant, j’aime beaucoup celle de Maïa. Ce que j’ai aussi beaucoup apprécié, c’était la rencontre puisque c’est la première personne que j’ai photographiée et c’est elle qui m’a un petit peu pousser à faire ce projet.
Maïa, c’est une femme trans mais qui a refusé, en tout cas quand je l’ai rencontrée, de subir une chirurgie plastique pour la raison suivante : se sentant femme, elle estimait que son corps, qui habituellement est considéré comme un corps d’homme, se transformait d’une certaine manière en corps de femme. Et c’est une réflexion qui a piqué ma curiosité et qui a beaucoup changé ma façon de voir les choses sur le corps notamment.
Au niveau technique, je pense que cette photographie condense un peu tout ce que je voulais réaliser, d’un point de vue de la lumière, de l’environnement, de la pose, du vêtement. Il faut savoir que je n’ai donné quasiment aucune indication au modèle. Je leur disais : « Tu viens comme tu veux être représenté-e ». Et beaucoup sont venu-es justement avec des fourrures – Maïa la première –, ce qui donne un caractère très noble.
Quant à la série BANNIS, elle est assez différente dans son propos. Le témoignage était vraiment fondamental pour cette série. Donc pour moi, c’est beaucoup plus complexe que de dire si je préfère une photographie. Ça voudrait dire, est ce que tu préfères une histoire ou un témoignage ?
Et justement, qu’est-ce qui vous a le plus touché dans le récit des personnes que vous avez rencontrées ?
Pour BANNIS, c’est l’espoir que la France donnait à ces personnes. Dans leur imaginaire, la France allait les sauver. Et ça fonctionne, la France les a sauvées. Ce qui m’a beaucoup touché, c’est cet espoir que la France était une terre d’accueil et que ici elles pourraient vivre en liberté, vivre leurs amours, leur sexualité, leur genre, sans être menacées.
Je trouvais que cette question de l’accueil de l’étranger, de celui qui est menacé, était un projet politique assez noble. Quand on parle d’identité nationale, je me dis que notre identité, c’est peut être aussi la faculté que d’autres pays n’ont pas, c’est-à-dire d’accueillir et de faire en sorte que les gens s’intègrent, vivent bien et se sentent libres.
Ce qui m’a touché aussi, c’est le sentiment de déracinement de ces gens qui n’ont jamais voulu quitter leur pays, parce que finalement, quand on naît quelque part, qu’on a les références culturelles d’un lieu, c’est extrêmement dur de s’en arracher. Il y a ce contraste, de gens qui vivaient bien chez eux, faisaient partie plutôt de la classe moyenne, à part quand leur sexualité a été révélée ou qu’ils ont commencé à se poser des questions sur leur genre, et arrivés en France, ils font partie des plus pauvres, des déracinés. Mais ici ils ont un avenir, en tant qu’individu. Ce sont des rencontres qui m’ont énormément touchées.
Que voyez-vous d’un point de vue artistique et esthétique dans le récit de ces personnes et dans la façon dont elles expriment leur identité dans leur apparence ?
Alors justement, elles n’expriment pas leur identité dans leur apparence. Les images que j’ai réalisées sont faites pour ne pas voir leur identité. Mon idée était de réemployer l’iconographie du « puissant » pour des gens qui sont souvent marginalisés. Ou quand ils sont montrés, on applique sur eux une vision parfois très sexualisée, très érotisée – sans mauvaise intention, mais on ne les montre pas comme des gens qui mériteraient d’être puissants.
Qu’est-ce que c’est le portrait d’un puissant ? J’ai l’impression que depuis la peinture classique, ça n’a pas tellement changé : il y a une pose, une certaine lumière, certains vêtements qui vont décrire le puissant. J’ai repris ces codes parce que je pense que c’est l’image qu’on a quand on dit : « un beau portrait ».
Ce qui est très intéressant, c’est que je donne des cours d’arts plastiques au collège et j’ai montré cette photographie à des élèves et je leur ai demandé : « C’est qui, elle ? ». « Ah ouais, monsieur, je la connais, c’est la femme d’un président africain, elle est super connue », ou « Mais non, c’est une star du cinéma », etc. Donc dans leur imaginaire, ils ou elles ont vu la lumière, le vêtement, la pose, et se sont dit : « c’est quelqu’un de puissant ».
Et pourquoi avez-vous souhaité mettre en avant ces personnes et leur histoire ?
En fait, c’est quelque chose de très intime. La série QUEER, je crois que je l’ai faite en 2016. A l’époque, il y avait des frémissements sur toutes ces questions liées au genre et au sexualité. J’ai commencé juste avant, j’ai été très surpris qu’on se mette à en parler quelques semaines, quelques mois après. Et c’est venu de quelque chose d’extrêmement personnel.
Quand j’étais plus jeune, je portais les cheveux longs, jusqu’à mi-dos pratiquement et j’avais un visage très juvénile, très féminin. Et on me prenait tous les jours pour une femme, partout, où que j’aille. C’était, devenu une véritable habitude d’être considéré comme une femme par les gens qui ne me connaissaient pas. Mais je me suis aperçu rapidement que ça avait beaucoup de désavantages. Déjà, quand on vous considère comme une femme et qu’on se rend compte que vous êtes un homme, vous vous transformez en grosse tapette.
Donc j’ai vu très tôt cette violence sexiste ou homophobe, qui pouvait s’exercer à la fois sur les autres, sur les femmes, et puis sur ceux qui sont dans une zone grise. Quand on est une femme, déjà c’est un petit peu plus compliqué dans la vie sociale. Mais pire encore, quand on est entre les deux, pour tomber dans la zone grise, ça les gens ne le supportent pas. C’est quelque chose qui m’a vraiment retourné et je crois qui a constitué une partie de mon identité.
C’était donc une des questions que je me posais depuis très longtemps et le hasard a fait que, en 2016, j’avais le matériel technique et que j’avais l’idée de faire ce genre de travail, et que quelques semaines, quelques mois après, ça a commencé vraiment à émerger dans le débat public.
Pour BANNIS, par contre, j’ai rebondi davantage sur l’actualité puisqu’on parlait beaucoup de la crise migratoire et c’est un sujet qui m’intéresse aussi depuis très longtemps. Donc je suis allé à la rencontre de ces gens qui sont martyrisés à cause de leur sexualité ou de leur genre.
Pour moi, ces gens étaient une forme de symbole parce qu’il n’y a rien de plus violent que d’être rejeté-e juste pour ce qu’on est. C’est vraiment l’exemple, le stéréotype de celui qui doit quitter son pays en cas d’extrême urgence, pas par volonté de cœur, ou par désir d’aller s’enrichir ailleurs.
Et pour vous, est-ce que c’était une démarche un peu militante de faire ses portraits de personnes LGBT+ ?
Honnêtement, je ne suis pas un militant. Certains y verront une démarche militante dans la mesure où je parle de gens qui ont des droits, des enfants et c’est vrai que je me place plutôt de leur côté. Je prends une position. De toute façon, je ne vois pas comment en tant qu’artiste ou que faiseur d’image, on peut être neutre. Rien que les faire témoigner, les montrer, c’est déjà une démarche. Mais moi, je ne me considère pas comme militant, pas du tout.
Pourquoi les personnes que vous avez photographiées ont accepté de participer à vos projets ?
En vérité pour QUEER, je me suis arrêté à 20 portraits, mais j’avais une liste d’attente derrière. Donc j’aurais pu en faire, je sais pas, peut-être 100, et ça m’a vraiment surpris.
Elles ont accepté de participer parce qu’elles sentaient qu’elles étaient montrées différemment qu’habituellement et qu’il y avait une forme d’honnêteté dans mon travail, dans la mesure où quand j’allais les voir, je leur montrais voilà, ma position c’est celle d’un photographe, voilà ce que je te propose comme type d’image, voilà où est ta liberté et voici où est ma liberté. On passe un contrat.
Et je crois aussi que le fait de les montrer sans stigmatisation, qu’elle soit positive ou négative, sans les rendre marginaux, c’est quelque chose qui leur a vraiment plu, de voir une autre image d’eux-mêmes.
Par contre pour BANNIS, c’était beaucoup plus dur. J’ai dû passer par des associations qui m’ont organisé des réunions avec les réfugié-es et expliquer mon projet, parfois en anglais. J’ai dû faire comprendre aussi à ces gens quel était le but de faire des photographies, qu’elles vont être vues, dans des expositions, dans des magazines…
Ça a pris beaucoup de temps, ça a été très compliqué. Il y a des gens qui font des allers-retours aussi en France. Un jour ils sont à Marseille, le lendemain ils sont à Paris, parce qu’ils connaissent des gens à droite à gauche, parce qu’ils doivent parfois fuir aussi, parce qu’il y en a qui sont sans-papiers, qui n’ont pas le statut de réfugié-es..
Pouvez-vous nous parler de vos futurs projets éventuellement sur cette thématique ?
Il n’y plus de projets sur cette thématique. J’ai un projet qui me tient beaucoup à cœur mais ça n’a plus rien à voir. Ce qui m’intéresse de plus en plus, c’est la fiction. Je veux de plus en plus faire intervenir la fiction à côté du portrait, donc de l’écrit et de l’image, et combiner tout ça pour créer des histoires. Je vous donne un indice : c’est des portraits de gens que je ne connais pas et je ne sais pas ce que vont devenir ces gens, et ce n’est pas moi qui en déciderai.
Toutes les photographies de la série QUEER et de la série BANNIS, ainsi que l’intégralité des témoignages, sont à retrouver sur le site de Quentin Houdas.