Le confinement a aggravé les inégalités entre les femmes et les hommes, sur le plan personnel et professionnel. Au confinement s’est ajouté le télétravail qui, comme le révèle l’enquête de l’INED publié en juillet 2020, a eu des impacts différents suivant le sexe des travailleu.ses et leur catégorie sociale. Cette réalité est d’autant plus vraie pour les femmes en confinement dans un foyer hétérosexuel avec des enfants (en bas âge ou non). Afin de visibiliser ces inégalités, exacerbées pendant cette période, nous avons recueilli les témoignages de femmes, de catégorie A, B et C travaillant comme personnels BIATSS ou enseignantes-chercheuses à l’Université Lyon 1. Vous pourrez les découvrir, quotidiennement sur le blog, du 15 au 23 juillet.
Pouvez vous vous présenter ?
Je m’appelle Heather Harker, je suis maîtresse de conférence au département de physique à Lyon 1 et chargée de mission Handicap. J’ai vécu le confinement avec mes deux filles de 10 et 14 ans.
Comment avez-vous vécu l’annonce du confinement ? Comment avez-vous organisé les premières semaines ?
Le début du confinement a été brutal et anxiogène, nous avons perdu pas mal de repères. Il a fallu fonctionner différemment sans aucune préparation, aussi bien au travail que d’un point de vue familial.
Je me suis retrouvée à la maison avec seulement un ordinateur portable pour mes filles et moi. J’étais mal installée, sans souris ou fauteuil adapté, ce qui a accentué mes problèmes de santé.
Au bout de quelques semaines un voisin a pu me prêter un ordinateur pour mes filles. J’ai mis deux ou trois semaines à trouver une organisation qui convenait à tout le monde.
Je me levais très tôt pour travailler pour pouvoir être disponible pour la plus petite de mes filles à son réveil. Après le déjeuner j’enchainais sur l’aide aux devoirs pour la plus grande et je m’organisais pour travailler sur table pour lui laisser l’ordinateur.
Au début je ne sortais pas et ne faisais aucune pause, j’ai très vite compris que nous ne tiendrions pas, j’ai donc organisé des pauses, à 17h, le plus souvent au jardin. Je reprenais le travail le soir.
Pour les enseignements, mes collègues ont pu gérer tout ce qui nécessitait d’être en live, je préparais tout ce qui était asynchrone : exercices, examens…
Je n’avais pas de planning formalisé sur papier mais j’avais tout bien en tête !
Connaissez-vous le terme de charge mentale ? Dans quelle mesure avez-vous ressenti son poids pendant cette période ?
La charge mentale a été énorme au début pour moi : il fallait penser à tout. Se protéger du virus évidemment, gérer mes deux postes (enseignement et mission handicap), l’école des enfants, la maison…
Les enseignants de mes enfants étaient eux aussi déstabilisés et il fallait être très présente pour organiser les cours, les devoirs, les semaines.
Pour les courses par exemple, je ne pouvais pas sortir seule et laisser mes enfants, ni les emmener avec moi. J’ai pu m’organiser avec mes voisins pour des livraisons à domicile. Quand j’ai pu un peu plus sortir je faisais à mon tour les courses pour tout le monde.
Beaucoup de médias prônaient un retour à une forme d’intériorité et de lenteur, avez vous pu prendre ce temps pour vous ? (lire, sport, prendre soin de soi)
Nous avons beaucoup jardiné en famille, j’ai aussi pris du temps seule au jardin parfois.
Nous avons pas mal bougé physiquement car j’avais récupéré un tas de pierres avant le confinement, pour monter des terrasses en pierres à différents endroits du jardin.
Nous avons planté des légumes, c’était important de pouvoir prendre l’air, bouger un peu, avoir des objectifs et des projets, profiter de la nature qui n’a jamais été aussi tranquille et peu polluée.
Avez-vous ressenti une forme de culpabilité concernant votre gestion de cette crise ?
Pas de culpabilité pour moi, j’ai fait ce que j’ai pu.
J’ai même l’impression d’avoir davantage pris le temps de me poser avec mes enfants. Ça a été un temps important et positif pour nous, se poser, se parler, regarder des films ensemble.
Comment avez-vous géré l’après confinement ? Quelles ont été vos stratégies pour initier le changement ?
Le déconfinement n’a pas été brutal, même plutôt fluide. Nous avons pris notre temps pour ressortir, voir l’entourage…
J’ai apprécié le télétravail et la réflexion sur de nouvelles formes d’enseignement, en particulier pour les étudiantes et étudiants en situation de handicap. Nous avons beaucoup réfléchir à trouver des solutions pour les examens, pour des problèmes liés à certains situations de handicap spécifiques (besoin d’un lecteur/scripteur d’examen pour composer, besoin de transcriptions des cours par visioconférence,).
De belles choses ont émergées, certain·es étudiant·es se sont complètement révélés pendant cette période en faisant preuve d’une grande autonomie et maturité. Je pense notamment aux étudiants qui ont l’habitude de compenser des absences (en raison de leur situation de santé, de leur activité professionnelle, …). La mise en place des examens à distance, que nous évoquons depuis plusieurs années à la mission handicap pour les étudiant·es en situation de handicap, ont enfin pu se mettre en place grâce, notamment, au service ICAP et à l’implication des enseignants.
Il me semble que nous pourrions nous appuyer sur ses expériences pour bâtir un mélange entre enseignement en présentiel (évidemment indispensable) et en distanciel.
Au niveau de la mission handicap nous faisions une réunion par semaine. Elle nous permettait de faire le point sur les dossiers en cours et de répartir le travail. Nous avons gagné en fluidité avec la mise en place des signatures électroniques qui ont permis par ailleurs d’assurer la bonne continuité du service (décisions d’aménagements d’examens, rémunération de nos étudiants salariés, …).
Je suis convaincue des vertus du télétravail aussi bien pour des questions d’organisation personnelle propre à chacun·e (temps de transports…), d’organisation du travail (autonomie, nouvelle pratiques d’encadrement davantage basées sur la confiance) que pour des questions écologiques.
Il me semblerait intéressant de regarder ce qui a fonctionné et de construire de nouveaux fonctionnements à partir de cette expérience.