Peux-tu te présenter ?
Je m’appelle Bérénice. Je suis actuellement en Master 2 Egal’APS – étude sur le genre et égalité dans et par les pratiques physiques, sportives et artistiques. Je suis également danseuse.
Parle-nous de ton stage !
Je suis en stage au sein du projet Re-Création, de l’association Loba, à Paris.
Loba, « exprime-toi » en Lingala (dialecte de la République Démocratique du Congo), est une association qui engage les citoyens depuis 2008 à travers des expositions et des spectacles de différentes formes d’arts (danse, photographie, rap,…), dans des domaines d’actions variés : santé, éducation, problématiques sociétales.
Cette structure est née d’une rencontre artistique et d’un partage de valeurs communes entre les danseurs Bolewa Sabourin et William Njaboum. Loba, c’est l’art au service de la cité et des enjeux de société, transformant l’Activisme en ARTivisme.
Pourquoi le projet ReCréation ?
En République Démocratique du Congo, le viol est utilisé comme arme de guerre afin de faire fuir les populations et s’approprier les ressources naturelles. Et pour cause, 80% de la réserve mondiale de Coltan (minerai indispensable à la fabrication des téléphones portables et d’objets numériques) se trouve à l’est de la RDC. Le viol est donc une arme de destruction massive visant à traumatiser et à dissoudre les normes sociales des populations afin d’entraîner un exode vers les villes.
La Fondation Panzi du docteur Denis Mukwedge (gynécologue-obstétricien), prix Nobel de la paix 2018, accueille ces filles/femmes survivantes au sein d’une prise en charge pluridisciplinaire fondé sur quatre piliers : médical-chirurgical, psychosocial, juridique, réinsertion socioéconomique.
Le projet Re-Création by Loba est ainsi né de la rencontre de Bolewa Sabourin avec Denis Mukwedge, « l’homme qui répare les femmes », en 2016, lors d’une conférence du docteur à Paris. Ce dernier affirmait que par les chants et la danse, les femmes/filles arrivaient mieux à s’exprimer sur leurs traumatismes pour travailler dessus et se reconstruire.
Par conséquent, c’est d’une volonté de mêler la danse à la reconstruction de soi dont résulte Re-Création by Loba, avec un protocole de soin associant danse et thérapie (intervention d’un binôme danseur et psychothérapeute). Ces ateliers de danse comme outil thérapeutique ont tout d’abord été implanté à la Cité de la Joie (Panzi, RDC), avant d’être introduits en France, afin de permettre à ces filles/femmes de se reconstruire psychologiquement par la danse.
Par la suite, le projet s’est agrandi avec deux axes principaux :
- LA SANTE : La reconstruction, empowerment des femmes victimes de traumatismes par la danse comme thérapie
Le projet Re-Création by Loba a donc pour objectif d’utiliser la danse comme moyen de reconstruction de soi : c’est un outil de transformation sociale, physique et psychique, d’émancipation et d’expression de soi. Aussi, la danse est un puissant moyen de revenir et puiser dans les racines, mais aussi d’en extraire la puissance intérieur qui permet de s’exprimer à travers le corps quand les mots ne sont plus suffisant.
Re-Création by Loba vise que ces femmes passent du statut de victime, à celle d’actrice de leur propre vie : qu’elles prennent « en mains et pieds » leurs combats et l’exposent aux yeux du monde à travers l’art. A terme, le projet Re-Création aimerait ainsi créer une compagnie de danse constituée de femmes congolaises résilientes.
- ENGAGEMENT : Sensibilisation et prévention
- Partenariat avec le lycée Jean Jaurès à Montreuil (93) : Sensibilisation des lycéen.ne.s aux violences sexistes et sexuelles faites aux femmes mais aussi aux violences de genres. Le but est aussi de les accompagner dans la mise en œuvre de projets d’actions pour prévenir ces violences.
- Sensibilisation du grand public : La compagnie ReCréation (composé de deux danseur.se.s et deux percussionnistes) a écrit un spectacle de danse traditionnelle congolaise « LArmes » incluant la narration de faits et de récits de femmes survivantes, destinée à interpeller le grand public. Ce spectacle est suivi d’un débat visant à encourager les spectateur.rice.s à considérer des idées d’actions individuelles et/ou collectives afin de lutter contre le viol comme arme de guerre en RDC.
En effet, malgré des faits lointains, notre consommation des technologies numériques à un impact direct sur les populations locales en RDC. Re-Création by Loba a aussi la volonté de donner la parole et les « armes » pour lutter par l’engagement citoyen.
C’est pourquoi, les ateliers au lycée Jean Jaurès de Montreuil (93) et les spectacles de la compagnie s’accompagnent de débats, de création d’espace de dialogue. Notre ambition est de faire émerger la parole des individus, afin qu’ils puissent être par la suite, acteur.rice du changement.
Pour nous connaître davantage : https://recreationbyloba.com
Quel est ton projet de recherche (mémoire) ?
Ma mission au sein du projet ReCréation se concentre autour de la compagnie de danse. J’ai mis en place un format spectacle – débat – danse avec le public afin que ce spectacle puisse être vécu au-delà d’une simple sensibilisation, conscientisation sur le viol utilisé comme arme de guerre en RDC. Nous ambitionnons un engagement actif du public à travers leurs réflexions d’actions individuelles et/ou collectives au sein de ce débat.
De plus, à travers ce format, il est aussi important pour nous d’inclure un temps dansé dans ce programme, après avoir partagé des idées tous.tes ensembles, alors qu’ils.elles ne se connaissaient pas. Après avoir partagé leurs réflexions, les spectateur.rice.s vont alors partager le mouvement et la joie que cela procure.
Par conséquent, mon mémoire va traiter de la danse comme outil d’engagement citoyen, et donc comme outil de transformation sociale à travers aussi la notion d’Artivisme (art et activisme : l’art au service de la Cité et des enjeux de société). Ainsi, mon point de départ est le format spectacle/débat/temps dansé que j’ai mis en place pour la compagnie ReCréation.
Comment tes expériences vécues en tant qu’étudiante modifient (ou pas !) ta perception au quotidien ? Ta pratique en tant que danseuse ?
Mes expériences vécues en tant qu’étudiante du Master Egal’APS m’ont donné les outils pour pouvoir m’assumer en tant que danseuse. Par exemple, on m’a reproché de ne pas être assez « féminine », d’être trop dans la puissance et la force quand je dansais, et c’est quelque chose que j’ai eu du mal encaisser, mais aussi finalement à faire valoir. La danse a toujours été la meilleure façon de m’exprimer, mais aussi de pouvoir me reconnecter avec moi-même, mes doutes, mes peurs, mes incohérences et mes incompréhensions, afin de pouvoir les transformer positivement. Cela m’a permis de me questionner sur qui je voulais vraiment être, en fonction de mes aspirations, et pas sur ce quoi les autres voulait que je sois.
Tous ce que je vis avec Loba, ma mission, mais surtout tous les témoignages, les histoires des survivantes que j’ai pu écouter et/ou lire, font maintenant partie de moi. Cette année, la danse me permet, non seulement de rendre hommage à toutes ces femmes, mais aussi de continuer à faire vivre ces histoires pour ne pas les oublier. Car la danse, c’est aussi une manière positive de transcender ces horreurs et d’aller vers quelque chose de lumineux.
Par ailleurs, j’ai beaucoup réfléchi à la création, la production d’un « mémoire dansé » en plus de mon mémoire universitaire, et de questionner ainsi, la mémoire corporelle…!
RDC : République Démocratique du Congo
Pour aller plus loin sur l’utilisation des minerais de Coltan en RDC : https://www.contretemps.eu/congo-rdc-genocide-industrie-numerique/