Lecture critique de Chiara Amatruda, stagaire à la BU Education Lyon.
La vague de légalisation du mariage gay, le soulèvement des questions d’homoparentalité en Occident a fait couler de l’encre ces dernières années. L’un des sujets fascinants, dont on traite de plus en plus dans la recherche et dans le journalisme est l’instrumentalisation des luttes LGBT+ comme un outil politique. En tant qu’étudiante en études de genre et militante féministe intersectionnelle, je m’interroge beaucoup sur les rapports de pouvoir qu’exercent les Etats-Nation sur leurs populations et les motivations des politiques menées. Quels pays se montrent ouverts à l’homosexualité et pourquoi ? C’est une des questions principales de l’ouvrage de Sylvie Tissot, qu’elle évoque tout en mettant en lumière le rôle que ces politiques ont dans nos relations sociales.
En tant que personne concernée par les politiques à l’égard de la communauté LGBTQIA+ ainsi que les comportements, les discriminations et les violences queerphobes[i] quotidiennes, j’estime que cet ouvrage participe à une remise en question sur cette thématique.
On appelle pinkwashing une technique fondée sur une attitude bienveillante envers les personnes LGBTIQ+ par une entité qui essaye de modifier son image et la faire apparaître comme progressiste, moderne, tolérante et cool. C’est l’entreprise des nouvelles classes bourgeoises des quartiers gentrifiés et des métropoles occidentales comme Los Angeles, Londres, NewYork, Paris, Tel Aviv, etc. Il y a cette idée que pour être un bon bourgeois moderne, il faut être ouvert d’esprit et accepter une certaine diversité dans nos villes et dans nos milieux.
Néanmoins l’application de cet état d’esprit cool et moderne est loin d’être tout rose ou plutôt tout arc-en-ciel[ii]. Cette acceptation superficielle pourrait bien cacher une volonté de domination intellectuelle et économique sur quiconque ne clamant pas haut et fort leur soutien pour les droits des gays. C’est ce que l’auteure Sylvie Tissot, professeure en sciences politiques à Paris 8 propose de découvrir avec son enquête comparative sur la gayfriendliness dans les villes respectives de Paris et New York qui prend en compte le biais de la classe sociale.
Mais alors, c’est quoi être gay-friendly ? Accepter l’homosexualité, mais plus encore c’est soutenir et être respectueux.se d’autres formes de sexualité que la norme imposée (mais surtout de l’homosexualité). Néanmoins l’application de cet état d’esprit est variable selon l’âge, le sexe, la race, la classe, le milieu social et les parcours de vie. Dans cet ouvrage, Sylvie Tissot traite surtout de la classe sociale mais elle remet certainement en question le racisme latent dans les milieux gays et bourgeois dans sa quatrième partie sur « Les frontières de la gayfriendliness », ainsi que le genre en mettant en avant le rôle des femmes hétéros dans sa troisième partie sur les alliées de la cause.
On notera que le livre traite bien du gayfriendly et non du LGBT+ friendly, c’est justement une notion que Sylvie Tissot aborde dans cet ouvrage. On peut être gay, mais pas trop. Il y a tout de même des standards de normativité à adopter pour être un.e bon.ne gay : c’est l’hétéronormativité. La légalisation du mariage gay en témoigne bien, faire de la place à l’acceptation de diverses sexualités et orientations amoureuses, c’est les faire rentrer dans l’ordre social hiérarchique et patriarcal. Être un.e bon.ne gay au final c’est ne pas remettre en question un ordre moral qui fait des classes bourgeoises ce qu’elles sont. Une élite économique et intellectuelle doit sembler valoir mieux que le reste. Au final, c’est une volonté de distinction sociale et classiste que de se montrer ouvert d’esprit par rapport au peuple.
Sylvie Tissot se demande aussi quel rôle la gentrification joue dans cette ‘ouverture d’esprit’ et cette conquête de la diversité ? Pour répondre à cette question, elle revient sur l’histoire des quartiers populaires qui sont aujourd’hui gentrifiés pour expliquer ce critère éthique de classe qui distingue les modes de vie de ces quartiers des autres.
Gayfriendly s’inscrit dans la continuité de l’œuvre de Sylvie Tissot puisqu’elle a travaillé sur la gentrification et sur le progressisme dans les classes bourgeoises dans le passé avec ses deux publications De bons voisins. Enquête dans un quartier de la bourgeoisie progressiste et Good Neighbors. Gentrifying Diversity in Boston’s South End[iii].
[i] Discrimination à l’égard des personnes se définissant comme Queer (déviant.e des normes de genre et de sexualité)
[ii] Référence au drapeau arc-en-ciel reconnu comme celui de la communauté Lesbienne Gay Bisexuelle et Transgenre
[iii] Tissot, Sylvie, David Broder, et Catherine Romatowski. Good Neighbors: Gentrifying Diversity in Boston’s South End. London ; Brooklyn, NY: Verso, 2015.